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1..INTRODUCTION............................................................................................ 3
 

A) GÉNÉALOGIE DU PROJET ET NOTES  D' INTENTION..............................3
 

B) L’INDUSTRIE EN VALAIS DE 1905 À NOSJOURS........................................................................................................ 5
 

  2.LE PROJET............................................................................................................. 8
 

A) LE THÈME DE LA MÉMOIRE OUVRIÈRE ................................................... 8
 

B) LES TROIS GRANDS AXES DU PROJET....
 

1. L’IMAGE SURVIVANTE................................................................................................... 9
 

2. LA MÉMOIRE OUVRIÈRE.........................................................................................................11
 

3.L’OUBLI...........................................................................................................14
 

C) CONCLUSION ............................................................................................. 15
 

3. LE DUO

ERIC BOVISI ET

GRÉGOIRE FAVRE.............................................................................................................. 17
 

 

1. INTRODUCTION
Et pourtant ces êtres du passé vivent en nous, au fond de nos penchants, dans le battement de notre sang. Ils pèsent sur notre destin. Ils sont ce geste qui ainsi remonte depuis la profondeur du temps.
R.-M. Rilke

A) GÉNÉALOGIE DU PROJET ET NOTES D’INTENTIONS
Parmi les oeuvres présentées lors de notre dernière exposition Ramuz EnQuête d’une identité (Les Halles, Sierre, de mai à juin 2008), certaines s’attachaient à définir l’identité de notre région.

Une centaine de photographies de la ville de Sierre étaient ainsi proposées au regard des spectateurs.

Attentifs à leurs réactions, nous avons été
surpris de découvrir que, face à nos photographies, les Sierrois étaient non seulement interpellés par le regard que nous portions sur leur ville, mais qu’ils semblaient également, avec un plaisir évident, la redécouvrir. En effet, cette « enquête photographique » a engendré un véritable dialogue avec le public ; qu’il s’agisse d’un simple échange ou d’une rencontre, nous avons eu l’étrange impression de répondre à une nécessité, à savoir de permettre à la population de notre ville d’interroger son identité.


L’expérience de cet échange n’a pas été sans conséquences sur notre façon
d’envisager la création artistique. Plus que jamais nous sommes convaincus que l’art a pour mission de contribuer à l’élaboration d’un dialogue qui dépasse le cadre forcément restreint de l’art lui-même pour s’ouvrir, qu’ils soient d’ordre sociologique, historique ou simplement humain, à d’autres horizons.

 

C’est fort de ce constat que, sous les conseils bienveillants de l’écrivain Jérôme Meizoz, nous avons choisi pour thème de notre nouveau projet, sorte de prolongement ou plutôt d’approfondissement de notre précédent travail, celui de la mémoire ouvrière de notre région.


En photographiant Sierre et ses alentours, nous avons été frappés par l’empreinte
laissée par l’industrie sur le paysage du Valais central.

 

En effet, qu’ils s’agissent d’usines, de gravières, ou encore de voies ferrées, nombreuses sont les traces de notre activité industrielle, présente et passée, qui entrent visuellement en collision avec la beauté naturelle de notre paysage. Ainsi, que nous photographions une usine entourée d’arbres fruitiers ou une conduite forcée transperçant la montagne, il semble que c’est bien l’histoire du Valais moderne qui est à l’oeuvre dans ces images capables de produire en elles la réunion de deux réalités distinctes.

 

Avant que le secteur des services ne prenne l’importance qu’on lui connaît aujourd’hui, le fait que notre économie ait essentiellement balancé entre la paysannerie, le tourisme et l’industrie, explique que notre paysage soit marqué par la rencontre de ces différents acteurs de notre activité économique.

Mais, au-delà de ces considérations, le paradoxe primordial à l’oeuvre dans les empreintes de notre monde industriel est sans doute la collision d’un là et d’un non là, d’un contact et d’une absence.

 

En d’autres termes, ce qui nous a surtout interpellé dans l’empreinte de notre histoire industrielle, c’est la puissance de son rapport au temps : la puissance fantomatique de ces ouvriers partis au loin mais qui demeurent, devant nous, proches de nous, à nous faire signe de leur absence.
 

Notre projet ne consistera pas à aborder la mémoire ouvrière de notre région en
remontant simplement le temps de manière linéaire, mais, au contraire, il a pour objectif d’instaurer une temporalité complexe capable d’englober passé, présent et futur.

 

Voilà toute l’ambition de notre exposition. Il s’agira donc pour nous de créer des oeuvres qui ne concernent pas seulement la disparition de notre classe ouvrière, mais plutôt ce qui en elle fait trace et, dès lors, se rend capable d’une mémoire, d’un retour, voire d’une renaissance.
 

Acquisition, conservation, transformation, expression, la mémoire est une symphonie en quatre mouvements. Par le biais de la création artistique, notre objectif n’est pas seulement de ramener dans le présent ce qui demeure de notre passé, mais bien de penser l’avenir.

 

B) L’INDUSTRIE EN VALAIS DE 1905 À NOS JOURS


Avant d’entrer plus en profondeur dans notre projet, il nous paraît important de survoler brièvement le passé industriel de notre région pour en mesurer les enjeux.


L’histoire du Valais moderne se confond avec le développement de son industrie.

 

Ainsi, au début du siècle passé, la région de Sierre, rendue particulièrement attractive par les forces hydroélectriques dont elle dispose, voit son paysage profondément modifié. En effet, en octobre 1905, d’importants travaux sont lancés par la Société anonyme pour l’industrie de l’aluminium (AIAG) : construction d’une voie ferrée avec un pont sur le Rhône reliant le site de Chippis à la ligne ferroviaire du Simplon, édification des premières halles d’électrolyse, amenée des eaux de la Navizence à la centrale de Chippis au moyen d’un tunnel de 8,5 km creusé dans la montagne et débouchant sur une impressionnante conduite forcée de 565 mètres de dénivellation.

 

Dès 1908, pendant deux ans, deux mille ouvriers creusent et équipent un canal qui traverse le bois de Finges pour alimenter la puissante centrale électrique de Chippis. En 1912, l’AIAG est la plus grande entreprise du Valais et fournit le tiers des exportations totales du canton.


Ce démarrage économique spectaculaire, qui s’opère notamment grâce à une main d’oeuvre locale abondante et bon marché, implique l’insertion d’une population rurale dans l’industrie et les services. Et bien que la plupart des ouvriers d’alors ne perdent pas tout contact avec la terre, la région de Sierre assiste à une importante mutation de son tissu social.

 

La plus remarquable expression de cette transition est, en 1917, la
grève des mille sept cents ouvriers de l’usine de Chippis dont les répercussions vont dépasser les frontières cantonales et susciter les préoccupations du gouvernement fédéral et de l’armée.

 

En effet, alors qu’ils doivent faire face à une augmentation du coût
de la vie, à l’adaptation lente et incomplète de leurs salaires ainsi qu’à la dégradation de leurs conditions de travail, le fait que l’Aluminium de Chippis profite de la conjoncture de guerre, favorable aux exportations, provoque la colère de ses ouvriers.

 

Cette crise qui marque un tournant dans l’histoire sociale du Valais, débouche sur la création de la Commission ouvrière de l’entreprise AIAG.

 

Suite à ces événements troubles, la classe ouvrière semble finalement être «reconnue en tant que telle » lorsque, en 1918, le député Camille Desfayes dépose une motion au Grand Conseil valaisan dans laquelle il demande à la future législation cantonale de garantir un travail régulier et suivi à l’ouvrier, de réduire le temps de travail tout en élevant les salaires, d’introduire un impôt
dégressif pour les petits revenus et d’assurer la sécurité de l’avenir contre les risques sociaux en créant des institutions d’assurance et en développant la responsabilité individuelle en matière de santé et d’hygiène.


De 1923 à 1930, l’usine de Chippis connaît une période de forte croissance.

Elle emploie deux mille ouvriers et produit 20 000 tonnes d’aluminium par an.

 

Fort de ce succès, l’AIAG décide de construire, sur le territoire de la commune de Sierre, une nouvelle usine de laminage et de filage, inaugurée le 28 mai 1929, à quelques mois du fameux krach boursier.
Si les difficultés économiques liées à la crise de 1929 se font moins ressentir dans le domaine de la métallurgie que dans d’autres secteurs de l’activité industrielle, la situation des ouvriers, elle, se dégrade. La dépendance du marché du travail à l’égard de la politique d’emploi des grandes entreprises conduit à une diminution des salaires, à laquelle s’ajoute une augmentation du temps de travail.

 

Ainsi, en 1932, Charles Dellberg développe une « motion de crise » dont les revendications principales sont l’intervention de l’Etat afin d’empêcher la baisse des salaires, et la protection du travail national.

 

Ce sombre contexte voit, avec la volonté de stabiliser et de nationaliser la
classe ouvrière, une montée des réactions antiétrangères sur le marché de l’emploi.
Dans un Valais divisé entre la vision patriotique de Maurice Troillet et l’obsession de la lutte anticommuniste d’Alexandre Ghika, durant la Seconde Guerre mondiale, l’AIAG, qui croule sous les commandes, peine à répondre – conséquence directe de l’économie de guerre – à une forte demande.

 

Et bien qu’en 1943, un Office social cantonal voie le jour dans le but d’harmoniser le développement économique et l’évolution sociale, il faudra encore attendre une dizaine d’années et un nouveau cycle de tensions sociales (1954) pour que l’entreprise mette en place une série de mesures pour améliorer les conditions de travail de ses employés.


Bénéficiant d’une conjoncture économique favorable, l’AIAG procède, à l’aube des
années 60, à l’extension et à la modernisation de ses installations de Chippis et de
Sierre. Et, c’est désormais sous la bannière d’Alusuisse que l’entreprise, portée par la
forte croissance des décennies 1960 et 1970, se lance à la conquête de nouveaux
marchés à l’autre bout du monde.
Au début des années 80, Alusuisse procède une fois de plus à l’extension de son site de Sierre.

Les investissements considérables concernent la construction d’une nouvelle usine de laminage et l’installation d’une nouvelle presse indirecte. Cependant, bientôt soumises à une forte concurrence de la production mondiale d’aluminium, les usines valaisannes doivent faire face aux aléas de la conjoncture. Ainsi, dés 1986, la fabrication du métal brut est abandonnée à Chippis et l’entreprise cède ses participations dans les sociétés hydroélectriques.
 

Suite aux difficultés rencontrées par Alusuisse au cours des années 90, c’est le groupe canadien Alcan, qui, au tournant du siècle, reprend les sites de Chippis et de Sierre et opère un recentrement de ses activités sur la fabrication de produits à haute valeur ajoutée.


En 2005, lorsque Alcan décide de se séparer d’une grande partie de ses activités de laminage au niveau mondial, c’est l’entreprise nouvellement créée Novelis qui intègre l’usine de Sierre.

 

Après avoir partagé durant des décennies un destin commun, la séparation des sites de production de Chippis et de Sierre en deux entités distinctes provoque une grande inquiétude au sein de la population.
 

En automne 2007, la fusion du groupe Alcan avec Rio Tinto voit la création d’une
énorme multinationale dont les activités sont concentrées sur l’extraction de minéral et
la fabrication de métal primaire. Depuis la fin de cette même année, les usines
valaisannes, qui emploient un millier de personnes entre Chippis, Sierre et Steg, sont mises en vente et cherchent toujours un repreneur.

 

2. LE PROJET
A) LE THÈME DE LA MÉMOIRE OUVRIÈRE


Alors que les halles de Chippis et de Sierre viennent de fêter leur jubilé de l’aluminium, et cela malgré les nombreuses incertitudes qui pèsent sur leur avenir, alors qu’une nouvelle crise économique vient d’éclater et débouche déjà sur des suppressions d’emplois au sein de l’entreprise Novelis, et que le paysage de Chippis se voit remodeler en profondeur par « la déconstruction » d’une partie conséquente de ses installations industrielles, ce bref rappel de l’histoire de la grande industrie dans notre région démontre que des générations de parents et d’enfants ont pris l’habitude de vivre à l’ombre de « leur grande entreprise », anciennement Alusuisse, devenue Alcan et Novelis.

 

Et, c’est précisément à ces hommes, à ces femmes, à ces familles, que nous
avons décidé de nous intéresser.

En effet, alors que notre monde actuel a vu peu à peu disparaître la classe ouvrière telle qu’elle s’est constituée au siècle précédent (c'est-à dire comme un référent stable, un groupe d’individus influent, susceptible de mobiliser durablement les esprits et les coeurs), il nous paraît plus que jamais pertinent de renouer avec notre héritage ouvrier.

De cette « classe », que reste-t-il ? Comment expliquer que les ouvriers constituent toujours un groupe social important de notre région et que leur
existence passe de plus en plus inaperçue ?

Sommes-nous les dépositaires d’un passé révolu ?

Face aux défis que dessine un présent incertain, à l’heure de l’affaiblissement
des résistances collectives, de la détérioration des relations sociales au travail, il est infiniment nécessaire de faire une place, ne serait-ce que dans notre horizon mental, à ces générations d’hommes et de femmes, véritables « bâtisseurs » du Valais moderne.

 

C’est donc à la « mémoire ouvrière » de notre région, mémoire dont le rôle est non seulement de ramener dans le présent ce qui demeure de notre passé, mais également de préparer l’avenir, qu’est consacré notre projet. Et, c’est précisément, parce que la
plus grande part de notre mémoire repose sur notre imagination et qu’il est difficile de la décrire complètement en se fondant sur des études scientifiques, qu’il nous semble pertinent en tant qu’artistes de contribuer à l’élaboration de cette mémoire.

 

À l’ère de la globalisation, il s’agit pour nous de rappeler, de questionner, voire de fixer, les traces  laissées par plusieurs générations d’ouvriers dans une société qui se sent coupée de ses racines originelles.
 

Ainsi, dépassant le cadre traditionnel de l’exposition d’oeuvres d’art, notre projet passe par l’édification d’un lieu de mémoire, à la fois témoignage artistique de la
transformation actuelle de notre société et marqueur éphémère de la rupture historique que nous vivons.

 

En permettant un dialogue intergénérationnel, notre travail a pour objectif la création d’une mémoire construite certes sur l’expérience vécue mais aussi sur l’expérience non-vécue : notre but de créer une oeuvre d’imagination capable de
cristalliser les souvenirs et leur transmission.


B) LES TROIS GRANDS AXES DU PROJET


Pour la population de notre région, la glorieuse épopée de son développement
industriel représente bien plus qu’un simple fait historique. Comme nous avons pu récemment le constater, l’engouement suscité par les festivités liées au centenaire de l’aluminium en Valais démontre un besoin essentiel, propre à l’évolution de notre société, celui d’aborder le lien qui nous unit à notre mémoire collective.

C’est donc dans cette perspective, celle d’un travail de mémoire dans lequel il s’agit, pour nous, artistes valaisans, d’explorer le passé afin, avant tout, d’expliquer le présent et d’anticiper l’avenir, que s’inscrit notre projet.
 

Ainsi, le contenu notre « mémoire ouvrière » se structurera autour de trois grandes étapes, autonomes et interdépendantes à la fois :
 

1. L’IMAGE SURVIVANTE


(…) lorsque le sens historique ne conserve plus, mais momifie la vie : alors l’arbre dépérit progressivement, au rebours du processus naturel, depuis la cime jusqu’aux racines – et celles-ci finissent généralement par mourir à leur tour. L’histoire traditionnaliste elle-même dégénère à l’instant où elle n’est plus animée et attisée par le souffle vivant du présent. (…)

Elle ne sait en effet que conserver l’histoire, non pas l’engendrer ; c’est pourquoi elle sous-estime toujours ce qui est en gestation, car elle ne possède pour cela aucun intérêt divinatoire.
F. Nietzche

 

Energie résiduelle d’une trace de vie passée, la survivance impose, selon le grand
historien de l’art Aby Warburg, une désorientation redoutable pour toute velléité de périodisation. Elle est une notion transversale à tout découpage chronologique.

Elledécrit un autre temps. Elle désoriente donc l’histoire, l’ouvre, la complexifie. Pour tout dire, elle l’anachronise.

Travail de mémoire, la survivance nous montre comment chaque période est tissée de son propre noeud d’antiquités, d’anachronismes, deprésents et de propensions vers le futur.

Constater cela, c’est se rendre à l’évidence que les idées de tradition et de transmission sont d’une redoutable complexité : elles sont historiques, mais elles sont aussi anachroniques ; elles sont faites de processus conscients et deprocessus inconscients ; d’oublis et de redécouvertes ; d’inhibitions et
de destructions ; d’assimilations et d’inversions de sens ; de sublimation etd’altération.

C’est donc aux images survivantes du monde ouvrier de notre région, à ses archives, à ses vestiges, à ses fantômes, que nous consacrerons la première partie de notre création.

En archéologues de la mémoire, il s’agira pour nous de regarder les choses présentes en vue des choses absentes, c'est-à-dire d’explorer à partir de notre présent les restes visible de notre passé, d’ôter les gravats, de découvrir ce qui est enfoui, de deviner, de construire ce qui a été oublié.

 

Sous la forme d’une enquête photographique des sites industriels de notre région, de leurs empreintes matérielles et psychiques, ou encore sous la forme d’une installation dans laquelle seront exposés divers objets découverts à proximité de ces mêmes sites, notre travail consistera à créer des images capables de faire remonter une mémoire inconsciente et donc de susciter, outre le
présent qu’elles nous offrent, une double tension : vers le futur par l’avenir qu’elles convoquent, vers le passé par les survivances qu’elles invoquent.

 

En instaurant un régime discontinu de la temporalité, cette première étape de notre projet a pour ambition de démontrer que, loin d’être un réservoir de souvenirs intacts, notre « mémoire ouvrière » est surtout imaginative et que, plus largement, nous reconstituons et transformons insensiblement mais sans cesse, notre passé en fonction de notre personnalité présente et de notre projection vers l’avenir.​

 

2. LA MÉMOIRE OUVRIÈRE


(…) à mesure que le concept de « subjectivité », progressivement élaboré par la philosophie moderne, s’élargit et s’approfondit, à mesure qu’issue de lui, une nouvelle conception véritablement universelle de la spontanéité de l’esprit gagne de plus en plus en netteté(…), surgit un nouveau moment constitutif de l’activité du langage qu’il faut mettre en évidence.

Le langage semble, en effet, si nous tentons de dégager son origine, être non seulement le signe et le délégué d’une représentation, mais aussi le signe émotionnel de l’affect et de la pulsion sensible.
Gilles Deleuze


Étape essentielle de notre projet, cette deuxième partie sera celle de l’ouverture de notre champ d’expérimentation artistique aux souvenirs, aux témoignages, voire aux réactions, des différentes générations d’hommes et de femmes qui ont constitué ou constituent ce qu’il convient toujours de nommer la classe ouvrière de notre région.
 

Alors que, dans notre monde contemporain, une sorte de voile entoure les conditions de travail et de vie des ouvriers (comme si l’on préférait ne pas savoir ce qui se passe à l’intérieur des usines), notre objectif est de faire revivre la mémoire ouvrière de notre région afin de permettre à une partie encore importante de notre population de sortir du silence auquel, par la force des choses, elle est réduite.

 

Il s’agit donc pour nous d’inviter les ouvriers, témoins d’hier comme d’aujourd’hui, à participer à l’élaboration de leur « mémoire ouvrière » dans le but non seulement de réunir un matériel inédit à même de combler le manque d’intérêt des chercheurs pour notre passé industriel, mais encored’établir ce dialogue intergénérationnel nécessaire à la cohésion d’une société.

Sociologique et artistique à la fois, notre travail consistera donc, par le biais d’un appel public lancé à la population, à créer, organiser, mettre en scène, un ensemble de témoignages inédits à même de porter un regard neuf sur la condition ouvrière dans notre région.

 

Concentrée sur l’histoire individuelle des différents intervenants, notre
approche, qui se veut essentiellement sensible, prendra la forme d’une enquête dont l’ambition première est de permettre aux ouvriers de prendre conscience qu’ils sont les dépositaires d’un savoir culturel lié à leur région, et ainsi de les persuader de se le réapproprier.

Recueillir la mémoire ouvrière de nos concitoyens, la sauvegarder et la
faire connaître, tel est l’objectif principal de notre appel à témoins. Pour ce faire, nous proposerons à toutes les personnes désireuses de contribuer à une meilleure
connaissance de notre histoire ouvrière de récolter leurs témoignages de deux façons distinctes bien que complémentaires :
Construite sur le modèle de la constitution d’un fond d’archives (qu’il s’agisse de lettres, de photographies ou encore de fiches de paie), la première partie de notre récolte de témoignages sera consacrée à la recherche de ces documents, souvent enfouis dans des greniers, des caves ou sous des couches de poussière, auxquels on ne prête pas ou plus attention.

Ainsi, soucieux de véritablement associer les différentes générations
d’ouvriers de notre région à l’édification de leurs mémoires ouvrières, nous distribuerons à tous ceux et à toutes celles qui accepteront de prendre part à notre projet, une boîte dans laquelle chacun et chacune pourra librement déposer un peu de ses souvenirs, d sa vie, de son histoire.

 

Cette démarche ayant pour ambition, la réalisation d’oeuvre « en libre accès » qui, sous la forme d’une bibliothèque d’un genre nouveau, permettra de dessiner les contours d’une mémoire complexe, voire inconnue, individuelle et collectiveà la fois.


Plus journalistique, la deuxième partie de notre travail s’attachera à collecter les
témoignages oraux de nos concitoyens. Nous conduirons donc une série d’interviews des acteurs de notre histoire ouvrière qui, diffusées sous la forme d’une installation vidéo, constitueront un important complément aux informations provenant des différents documents accumulés.


Alors que notre mémoire collective s’efface lentement mais inexorablement et que les témoins directs des bouleversements intenses rencontrés par le monde ouvrier de notre région disparaissent, il nous semble indispensable d’offrir à la population la possibilité d’un lieu d’échange afin de permettre aux générations les plus récentes une meilleure ncompréhension des trajectoires suivies par notre société.

3. L’OUBLI


La tragédie de la culture, c’est la tragédie de sa mémoire. C’est la tragédie de notre mémoire défaillante du tragique. Comment s’orienter dans la si puissante contrainte de la tradition, et comment délivrer en même temps l’originalité nécessaire au processus créateur dans les beauxarts.
Ernst Cassirer

 

Pourquoi consacrer la dernière étape de notre projet à l’oubli ?

Il est tellement indissociable du souvenir qu’il a déjà été en partie décrit. Comme l’écrivent Jean-Yves et Marc Tadié dans leur essai Le sens de la mémoire, tout souvenir est entaché d’imprécision, d’effacement, de lacune, c'est-à-dire de formes d’oubli.

 

Mais il est de nombreuses manifestations de la mémoire, ou plutôt de l’absence de mémoire, où l’oubli prend le pas sur le souvenir sans qu’il s’agisse de manifestations pathologiques ni d’amnésie. Estompement de la perception, effacement provisoire ou définitif, disparition de la trace neuronale ou absence de clé sont les principales caractéristiques de ce « miroir d’oubli, lac profond et sombre ».

Et c’est précisément parce que, depuis plusieurs mois maintenant, pelleteuses et grues s’activent à faire disparaître certaines des installations industrielles du site de Chippis, qu’il nous a semblé essentiel de nous intéresser à la notion d’oubli. En effet, avec la déconstruction de son usine, les habitants du bourg industriel de Chippis, ne voient-ils pas peu à peu s’effacer une partie de leur histoire ouvrière ? N’est-ce pas là que justement débute l’oubli ?

 

C’est cette transformation d’un lieu, où jadis de nombreux
ouvriers ont travaillé, en un endroit de plaisance, cette disparition, ce passage du
souvenir à l’oubli, que nous avons décidé de suivre afin de nous situer au plus près de
la mémoire ouvrière de notre région. Ainsi, à l’aide de supports aussi variés que la
peinture, la photographie ou encore la création vidéo, nous tâcherons de témoigner de
cet événement qui, loin d’être anodin, nous confirme qu’une page de l’histoire de notre grande industrie est définitivement en train d’être tournée.

C) CONCLUSION


L’empreinte de la grande industrie sur notre région n’est plus à démontrer. Pourtant, alors que notre héritage paysan ne cesse d’être célébré, peu d’ouvrages et peu d’expositions sont dédiés à notre mémoire ouvrière. Conscients de l’importance de cette mémoire, en dépassant la simple relecture d’un passé glorieux, en menant notre « enquête artistique », il s’agit pour nous de participer à la sauvegarde de notre patrimoine social et ainsi de nous aider à mieux comprendre les enjeux sociétaux actuels dans la mesure où ceux-ci n’apparaissent jamais de façon spontanée, mais s’inscrivent toujours dans une continuité, c'est-à-dire dans une histoire qui n’est pas forcément linéaire, mais qui n’est pas non plus dissociée des épisodes passés, notre présent n’ayant de sens que relié à un avant et un après.

Si les analogies entre notre démarche et celle des scientifiques sont nombreuses et profondes (entretiens avec les acteurs sociaux, constitution d’un fond d’archives), notre projet est fondamentalement artistique : notre travail consiste à réaliser des oeuvres d’art capables de relater l’histoire des ouvriers de notre région.

 

Notre création
s’attachera non seulement à retranscrire les traces de notre mémoire ouvrière, mais encore à nous faire ressentir les états d’âmes, les joies, les peines, les doutes, de ces différentes générations d’hommes et de femmes qui se sont succédés entre les murs de nos usines.



3. LE DUO ERIC BOVISI ET GRÉGOIRE FAVRE


Depuis la fin des années 80, Eric Bovisi, diplômé de l’Ecole cantonale des Beaux-Arts de Sion, se consacre à la sculpture et à la peinture. Membre du collectif lausannois « Le Blanc des cieux », il se fait connaître au travers de nombreuses expositions personnelles et collectives à Genève, Lausanne, Fribourg et Sierre (Galerie l’Alibi,
Galerie 16/25).

 

Parallèlement à ses activités littéraires (Prix littéraire de la Commune de Vernier 2003, Prix de la Sorge 2004, auteur de Paysage de Bretagne édité par Françoise Simecek en 2005), Grégoire Favre se livre depuis 2003 à des performances picturales à Lausanne et en Valais.

 

C’est à l’occasion d’un happening qu’il réalise dans le cadre des Dimanches de la Création à Sierre qu’il rencontre Eric Bovisi.
 

A l’occasion de la BD de Sierre en 2006, les deux artistes s’associent pour créer une installation au coeur de la ville. Pendant une semaine, Eric Bovisi et Grégoire Favre investissent une zone en marge de la vieille ville en créant un environnement constitué de cubes géants aux allures de grottes, de peintures, de textes, de sculptures et de photographies.

 

Dans le même élan, le duo participe en 2007 à plusieurs actions
artistiques que ce soit dans le cadre du festival interdisciplinaire des Scènes valaisannes aux Halles de Sierre ou à l’occasion de l’événement « La Désalpe culturelle » de Chandolin où dix-sept artistes se sont prêtés de juin à septembre à une expérience inédite en vivant une semaine en solitaire sur l’Alpage de Ponchet pour composer des oeuvres au coeur des montagnes.

 

En 2008, invités par le directeur des Halles Philippe De Marchi à développer un concept d’exposition autour du célèbre écrivain vaudois C. F. Ramuz, les deux artistes valaisans travaillent sur la thématique de l’identité en créant un univers plastique inspiré par le roman ramuzien de la création et de la vocation artistique Aimé Pache, peintre vaudois.Investissant les quelques 700 m2 des Halles, ils parviennent à réactualiser, au moyen de peintures, de reportages photographiques, d’objets du quotidien et d’installations, les questionnements identitaires de Ramuz sur l’homme, l’artiste et la région en les mettant en scène dans l’environnement dans lequel ils évoluent, le Valais.

 

Avec plus de 500 visiteurs, l’expostion « Ramuz EnQuête d’une identité » rencontre un important succès, même au-delà des frontières cantonales. Peu de temps après l’inauguration de l’exposition, Marlène Métrailler d'Espace 2 confiera, sur les ondes, avoir "atteint des profondeurs insoupçonnées" en se laissant plonger dans l’univers des deux artistes.


Forts de cette dernière expérience, Grégoire Favre et Eric Bovisi forment aujourd’hui un
binôme artistique solide. Plaçant au coeur de leur travail les valeurs d’expressivité, de
subjectivité et d’énergie, les deux artistes se livrent à un travail qui imprègne en
profondeur le visiteur, se donnant autant à regarder, à lire, qu’à sentir et à réfléchir.


 


 

SIERRE :

LA MEMOIRE OUVRIERE

Septembre 2010

Le duo Grégoire Favre - Eric Bovisi

 

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