Invités par le directeur des Halles Philippe De Marchi à investir l’espace de son centre culturel, Grégoire Favre et Eric Bovisi ont développé un concept d’exposition autour du célèbre écrivain vaudois Charles Ferdinand Ramuz.
S’inspirant du roman de la création artistique Aimé Pache, peintre vaudois, les deux artistes sierrois s’interrogent sur leur propre condition d’artiste et sur le lien qui les unit à leur région. Ainsi, à partir d’un jeu de miroir complexe entre le héros Aimé Pache, Ramuz et eux-mêmes, ils abordent la question de l’identité sous de multiples aspects.
Entretien avec Grégoire Favre
Pourquoi avez-vous choisi le roman Aimé Pache, peintre vaudois ?
D’avantage qu’un simple roman, Aimé Pache, peintre vaudois tient de l’autobiographie et touche à l’intime de son créateur. Il faut savoir que Ramuz a écrit ce roman sur douze ans – ce qui lui confère presque un statut de journal – et qu’il y relate les différentes étapes de la vie d’un créateur. Parmi les nombreux thèmes, nous avons choisi d’explorer celui de l’identité car Ramuz en a déjà, à l’époque, une vision très moderne. Pour lui, l’individu doit se résoudre à être morcelé, fragmenté et ne peut s’accepter qu’en allant vers les autres.
Comment avez-vous traité cette notion centrale de l’identité dans votre exposition ?
Chez Ramuz, l’identité se construit autour de trois notions : l’homme, l’artiste et la région. Nous avons exploré ces trois thèmes à travers le personnage Aimé Pache, l’écrivain Ramuz et nous-mêmes. Nous avons voulu questionner l’identité au sens large, qu’elle soit régionale, nationale, culturelle, personnelle, corporelle, artistique ou narrative. Ainsi, le Valais prend une place centrale dans notre travail : nous nous sommes interrogés sur l’importance de nos racines valaisannes.
Ramuz sur l’affiche de l’exposition
Une centaine de photos, renouant avec la tradition de la « photographie de rue », donne à redécouvrir la ville de Sierre : rues désertes peuplées d’ombres, centre ville encombré par le trafic, enseignes à l’abandon, projettent une image différente de celle montrée sur les prospectus touristiques. Pour rendre la complexité et la fragilité du processus identitaire, Eric et moi avons aussi conçu certaines œuvres à partir de collages, de papier mâché, de post-it.
La multiplicité des médiums permet aussi de rendre compte des nombreuses facettes de l’identité : dessins, photos, peintures, sculptures, vidéos et installations sont au rendez-vous !
Pourquoi avoir créé le « Aimé Pache Museum » ?
En décidant de pasticher le concept du musée, nous avons pu mettre à distance le concept lui-même, ainsi que celui de la commémoration. Nous sommes à une époque où le souvenir constitue un élément essentiel de notre identité, pour ne pas dire que l’oubli est un sacrilège ! Transformer les Halles en musée, nous a permis d’en jouer. Ainsi Eric Bovisi a réalisé la plupart des tableaux décrits dans Aimé Pache, peintre vaudois, en peignant à la manière de René Auberjonois à qui Ramuz dédie son livre. Nous avons voulu mettre en parallèle la conception de l’art à l’époque de Ramuz avec celle d’aujourd’hui. La dimension ludique réside également dans le travail de reconstitution de la vie fictive d’Aimé Pache : vous pouvez admirer son livret militaire ou sa première photo de classe !
Et comment se traduit votre propre quête identitaire ?
Une œuvre composée d’une série de photos et de dessins encadrés retrace notre propre parcours mais notre quête identitaire se poursuit également dans toute l’exposition, que ce soit par les photos de Sierre ou encore par les Black Albums. Les Black Albums ont été conçus sur le principe du journal intime mais relatent l’actualité, traitant des questions de politique suisse et des dérives identitaires actuelles comme des campagnes d’affiches racistes. Nous avons voulu inscrire l’actualité dans notre travail car la politique définit sans cesse notre identité régionale et nationale, et par conséquent personnelle.
Propose recueillis par Isabelle von Hildebrand
Exposition jusqu’au 28 juin : « Ramuz, EnQuête d’une identité »
Les Halles de Sierre, ouveture le vendredi de 18 à 20h, le samedi de 17 à 20h,
le dimanche de 15 à 18 h et une heure avant les spectacles